Halle : de l'emblème féodal au symbole touristique
Halles et granges remarquables du Parc
Le visiteur qui parcourt les villages du Parc naturel régional de la Forêt d'Orient est surpris par la présence majestueuse de quatre somptueuses halles.
Venant de Troyes la première à se dresser est celle de Piney qui trône en maîtresse au centre du village.
La Halle de Lesmont sert de porte vers le village intérieur et l'église toute proche.
Sa consœur de Brienne montre la grandeur passée de la ville mais aussi par son environnement le martyre de la dernière guerre.
Dienville, enfin, présente la seule halle en pierre. Reconstruite sous Napoléon III par paiement des dommages de guerre; l'antique et somptueuse halle en bois de ce village ayant disparu en 1814, cette construction tardive donne un cachet de ville du sud de la France.
Hélas, celle de Vendeuvre a disparu.
Ces halles, sièges de marchés hebdomadaires sous l'Ancien Régime recevaient plusieurs foires annuelles qui n'ont jamais vraiment connu un grand succès.
L'évolution économique particulière de la Champagne méridionale fait que le laboureur préfère aller à Troyes plutôt que de s'en remettre au petit marché local.
En revanche, ces halles sont un symbole de gloire et d'autorité pour leurs seigneurs.
Celle de Piney, la plus grande l'atteste. Plutôt qu'un château, le duc crée une place ducale carrée, comme à Charleville ou à Richelieu, il l'entoure de son hôtel particulier, des sièges de son administration et des maisons de ses officiers (l'incendie de 1926 en a détruit une grande partie). Au centre de sa place, se dresse sa halle qui s'incline devant la maison ducale, comme pour lui rendre hommage.
Cathédrales rurales
Symbole de prospérité et de commerce ces cathédrales rurales sont avant tout des symboles de puissance, celle du duc de Piney paire de France, du comte de Lesmont, du comte de Brienne, du baron seigneur de Dienville, du Marquis de Vendeuvre.
En effet, toutes les terres titrées et elles seules possèdent une halle, car le droit de tenir une foire et de percevoir une taxe sur les marchandises ne peut être concédé que par le Roi lui même. Seuls les nobles de premier rang obtiennent ce privilège.
Deux exemples différents sortent légèrement de ce modèle pour des raisons historiques : la Villeneuve-au-Chêne et Dienville.
La Villeneuve-au-Chêne, aurait pu avoir la sienne, son seigneur Jean IX de Mesgrigny était devenu conseiller d'état et le roi lui accorda le privilège de foire en 1631, trois ans avant que sa seigneurie ne fut érigée en baronnie. Mais en 1638, le frais baron de la Villeneuve rachète la baronnie voisine de Vendeuvre et sa halle. Il n'a désormais plus besoin d'en construire une nouvelle. D'autant plus que son fils, devenu premier Président du parlement de Provence, obtient du roi l'érection des deux baronnies en un seul marquisat, les deux villages n'en forment alors plus qu'un...jusqu'à la Révolution.
Au contraire, le baron d'Arzillières dans la Marne, seigneur de Dienville, ne peut obtenir l'érection de sa seigneurie en terre titrée, le puissant comte de Brienne son voisin garde la haute justice sur Dienville. Le baron préfère alors obtenir du Roi la construction d'une Halle dans cette commune.
Cinq halles en Forêt d'Orient
Quatre halles bordent la Forêt d'Orient, cinq si l'on tient compte de celle disparue de Vendeuvre. Elles en sont les filles. Seule la présence de cette somptueuse forêt de chênes et les considérables revenus qu'elle procurait a permis l'érection dans un espace aussi restreint d'autant de terres titrées.
L'absence de halle au sud de la forêt peut surprendre, les seigneurs de cette partie sont des moines, et leurs abbés étant " mitrés " avec donc rang de grands seigneurs, auraient pu en faire bâtir. Mais les cisterciens de Larivour fidèles à leur règle veulent rester dans le "désert" et ce qui leur sert de halle symbolique sont les somptueuses granges de leurs "gagnages", ces fermes isolées qui se situent désormais sur la route qui ceinture le Lac.
Quant aux moines bénédictins de Montieramey, les plus riches, ils ont eu le privilège insigne d'être une ville close avec droit de foire depuis le XlVe siècle, ce qui leur a valu en retour le déplaisir de plus d'un siège et d'une destruction complète. Les frais de reconstruction de leur abbaye qui ne fut terminée qu'à la veille de la Révolution ne leur donna pas loisir de reconstruire une nouvelle halle. En revanche, les laboureurs enrichis par l'excellente conjoncture économique du XVIlle siècle, construisent leur propre grange privée sous le modèle de la halle en miniature.
Brienne, Piney, Vendeuvre sont devenues à la Révolution chefs-lieu de canton.
Lusigny-sur-Barse étouffée jusque là par les deux puissantes abbayes profitent de leur démantèlement pour tirer son épingle du jeu et devenir à son tour chef lieu de canton.
Les halles débarrassées de leurs puissants seigneurs deviennent municipales, quelques marchés s'y tiennent mais elle servent désormais de rendez-vous festifs, bals populaires, lieux de réjouissances, de banquets, espoir de rencontrer le futur conjoint...
De symbole de pouvoir les halles sont devenues signe de vie joyeuse. Faut-il s'étonner alors si aujourd'hui les municipalités qui ont la chance de posséder une halle les restaurent et que celles qui n'ont pas eu la chance d'un tel legs de l'histoire voudraient en construire?
Alors que les anciennes granges-halles ecclésiastiques comme des halles privées des laboureurs sont menacées de ruine, n'est il pas souhaitable de les sauver et qu'elles ornent désormais le centre d'un village comme emblème du bon vivre ?
Les Halles s'inscrivent dans la longue durée rurale et dans l'imaginaire des villageois. Elles sont à la campagne ce que sont les cinémas et les théâtres, l'essence d'une vie culturelle.